Le testing comme outil de mesure et de visibilisation des discriminations
Qu’est-ce que le testing ?
Il s’agit d’une méthode de détection des discriminations « sur le vif » qui s’inscrit de plein pied dans une logique de type statistique : on compare les résultats obtenus par deux types de candidat·e·s en tous points identiques à une exception près, la caractéristique testée (par exemple l’origine migratoire, le lieu d’habitation, le sexe, etc.) dans les domaines visés par la loi (l’embauche, le logement, l’accès aux services publics et privés…).
D’où vient cette méthode ?
En France, elle a été mobilisée pour la première fois dans les années 2000 par des économistes et des chercheur·euses s’inscrivant dans le champ de la gestion et du management. Puis des institutions publiques s’en sont emparées (DARES, HALDE) ainsi que des associations anti-racistes (SOS Racisme). Le testing est par ailleurs utilisé comme instrument de stratégie contentieuse dès la fin des années 1990. En effet, s’il est mobilisé comme un outil de mesure des discriminations sur un marché donné (travail, logement, loisir, crédit, etc.) il intervient également dans l’arène judiciaire : il s’agit d’établir l’existence d’un comportement discriminatoire précis.
Quels sont ses avantages et ses limites ?
Dans un contexte où l’existence même des discriminations est souvent remise en cause, le testing permet d’objectiver une réalité difficilement palpable et de mettre en lumière des pratiques inégalitaires afin d’alerter les pouvoirs publics. De plus, depuis 2002 en France, cette méthode a également une valeur juridique, ce qui n’est pas sans importance. En effet, sur le plan pénal notamment, il est très difficile de prouver qu’il y a eu discrimination : il faut montrer qu’à situation exactement comparable, deux personnes ont été traitées de façon inégalitaire sur la base d’un ou plusieurs critères prohibés par la loi. Pourtant, les caractéristiques individuelles des individus diffèrent souvent sur trop de points. Il devient dès lors très complexe d’isoler le facteur qui a emporté une décision. Dans la mesure où le testing cherche à créer in vitro une situation dont l’expérimentateur·ice maîtriserait tous les éléments, le facteur discriminatoire apparaît de manière plus évidente.
Concernant les limites de cette méthode, on en relève notamment le caractère contextuel : il n’est pas possible d’extrapoler les résultats d’une telle expérience au-delà du contexte particulier dans lequel l’expérience a eu lieu. En outre, seule la discrimination directe peut être démontrée via cette méthode, qui n’explique en rien les mécanismes discriminatoires.
Que montrent les dernières campagnes de testing réalisées en France sur les discriminations liées à l’origine, à la religion et à l’orientation sexuelle ?
Origines
Discriminations à l’entrée en Master pour les candidat·e·s aux origines Maghrébines dévoilées par l’ONDES - Mars 2021 et Mars 2023
En Mars 2021, l’Observatoire National des Discriminations et de l’Egalité dans l’Enseignement Supérieur (ONDES) a mené une campagne de testing auprès d’universités : 1800 demandes d’informations ont été envoyées aux responsables de plus de 600 Master par un·e candidat·e de référence, une personne indiquant qu’elle se déplace en fauteuil, et un·e candidat·e avec un nom et un prénom évoquant une origine d’Afrique du Nord. Les résultats indiquent que seul·e·s les candidat·e·s d’origine maghrébine sont pénalisé·e·s dans leurs démarches, contrairement aux des candidat·e·s en situation de handicap. En 2022, ce sont les effets croisés du genre et de l’origine qui sont testés, avec cette fois plus de 2100 masters mis à l’épreuve. Là encore, les résultats tendent à invalider l’hypothèse d’un biais de genre à l’entrée en master, tandis que persiste une discrimination significative à l’encontre des candidat·e·s d’origine maghrébine, qui reçoivent 11,2 % de réponses positives en moins à leur demande relativement aux candidat·e·s d’origine française.
Pour plus de détails sur la méthodologie adoptée et les résultats obtenus :
- ondesmaster1.pdf
- https://ondes.univ-gustave eiffel.fr/fileadmin/contributeurs/ONDES/Publications/ONDES_WP_23_01.pdf
Des discriminations raciales pratiquées dans 17,3 % des établissements de nuit en France révélées par SOS Racisme – Mars 2023
Le vendredi 3 mars 2023, l’association a mobilisé des « testeur·ices » (en l’occurrence des personnes issues de minorités raciales) et des « groupes contrôle » (personnes d’origines européenne) afin de vérifier si la discrimination raciale était ou non pratiquée dans des établissements de nuit. Parmi les10 villes françaises testées, des discriminations ont été rapportées dans 6 villes à savoir Bordeaux, Lille, Marseille, Montpellier, Nice et Paris. Contrairement aux personnes identifiées comme blanches, les personnes perçues comme Noires et Arabes se voyaient ainsi répondre que le lieu était plein, qu’il était nécessaire d’avoir une réservation, ou encore que l’entrée était conditionnée à la consommation de bouteilles onéreuses.
Des discriminations raciales à la location immobilière mises en lumière par SOS Racisme - Mars 2023
De janvier à mars 2023, l’association SOS Racisme lance une campagne de testing dans le parc privé de logement : trois cents petites annonces postées sur leboncoin.fr pour des T1, T2 et T3 à Poitiers, Buxerolles et Saint-Benoît ont été scrutées afin de tester le critère de l’origine dans l’accès au logement. L’opération révèle que les hommes immigrés ou descendants d’immigrés d’origine nord et ouest africaine ont respectivement 54,7% et 30,4% de chance de subir des discriminations.
Des pratiques de discriminations ethno-raciales dans le secteur de l’intérim en Ile de France exposées par SOS Racisme - 0ctobre 2021
Il y a de ça un an, l’association SOS Racisme a lancé une campagne de testing téléphonique auprès de 69 agences d’intérim franciliennes, parmi lesquelles 9 des principales enseignes de ce secteur. Il s’est avéré que 45% des agences sondées acceptaient de discriminer des candidat·e·s à l’embauche à la demande de client·e·s. Dans ce cas précis, il s’agissait d’écarter les candidat·e·s de type non-européen·n·es.
Des discriminations à l’embauche pour les personnes originaires des territoires ultra-marins constatées par la TEPP - mai 2021
En mai 2021, des chercheur·euses de la Fédération de Recherche Théorie et Évaluation des Politiques Publiques réalisent un test de discrimination dans l’accès à l’emploi sur les territoires ultra-marins. Il s’agit de tester simultanément 2 critères : l’origine ultramarine/métropolitaine et le lieu de résidence, en comparant un habitat en quartier neutre à une résidence en quartier prioritaire de la politique de la ville. On constate ainsi que les candidat·e·s d’origine ultramarine sont discriminés par rapport au candidat d’origine hexagonale, à Paris comme dans les DOM, sans que l’adresse dans un quartier prioritaire ne joue comme facteur discriminant.
Pour plus de détails sur la méthodologie adoptée et les résultats obtenus :
Discriminations en Outre-Mer : Premiers résultats d’un testing
La vulnérabilité économique : un facteur discriminatoire aggravant celui de l’origine dans l’accès aux soins d’après la Défenseure des Droits - Octobre 2019
En 2019, la Défenseure des Droits a commandé une campagne de testing auprès de 1 500 cabinets médicaux à partir de trois profils de patientes fictives. Elle vise à mesurer les différences de traitement dans l’accès aux soins des patient·e·s pour trois spécialités médicales (chirurgiens-dentistes, gynécologues et psychiatres) et selon deux critères : l’origine du·de la patient·e et la vulnérabilité économique, identifiée par le fait de bénéficier de la CMU-C ou de l’ACS. Les résultats mettent en évidence une forte discrimination selon la situation de vulnérabilité économique, dans les trois spécialités médicales testées. L’étude révèle également, dans certaines régions seulement, des discriminations selon l’origine.
Pour plus de détails sur la méthodologie adoptée et les résultats obtenus :
Les refus de soins discriminatoires : tests dans trois spécialités médicales
Religion
Une forte discrimination à raison de la religion révélée par le Testing Valfort - Institut de Montaigne - Octobre 2015
L’existence de discriminations ethno-raciales à l’embauche et au travail a été établie depuis maintenant plusieurs années. Mais sont-elles basées uniquement sur l’origine ? L’institut Montaigne et la chercheuse Marie-Anne Valfort se sont associé·e·s pour réaliser un testing sur CV d’une ampleur sans précédent afin de tester la variable de la religion. Les résultats montrent que les personnes identifiées comme musulmanes, notamment les hommes, ont jusqu’à 2 fois moins de probabilité qu’une personne chrétienne d’être contactées pour un entretien. Par ailleurs, dans une moindre mesure, les personnes juives sont également touchées par cette discrimination.
Pour plus de détails sur la méthodologie adoptée et les résultats obtenus, rendez-vous sur le site de l’Institut ou consultez directement le rapport réalisé suite à cette campagne.
Orientation sexuelle
L’orientation sexuelle : un facteur discriminatoire dans l’emploi privé plus que dans le secteur public - un résultat établi par la TEPP - Mai 2021
En mai 2021, des chercheur·euses de la Fédération de Recherche Théorie et Évaluation des Politiques Publiques réalisent un test de discrimination dans l’accès à l’emploi : 4 critères sont testés, dont l’orientation sexuelle. Celle-ci apparaît comme un facteur discriminatoire surtout dans le secteur privé. Dans la fonction publique, les candidat·e·s présumé·e·s homosexuel·les ne subissent pas de discriminations en tant que telles, bien que l’on observe des différences de traitement aux différentes étapes du recrutement.
Pour plus de détails sur la méthodologie adoptée et les résultats obtenus :
A venir : Deux campagnes de testing sur le territoire de la Seine-Saint-Denis, portées par l’Observatoire Départemental des Discriminations et de l’Egalité
L’Observatoire a pour vocation d’intervenir sur 3 axes : la mesure des discriminations sur le territoire, la mise en place de dispositifs de sensibilisation et d’accès aux droits et enfin le développement d’une approche participative de la lutte contre les discriminations. Afin de pouvoir approfondir sa connaissance du territoire et mettre en place des outils de politique publique adaptés aux besoins des habitant·e·s, un baromètre des discriminations en Seine Saint Denis a été réalisé à plusieurs reprises, en 2019, 2021 et 2022. Pour compléter ces données issues d’une approche subjective des discriminations, l’Observatoire a mobilisé le testing comme outil de mesure des discriminations et ce dans différents domaines dont le logement, et prochainement dans l’accès à l’éducation et aux biens et services publics.