Inégalités et discriminations : une question de mesure
Le baromètre des discriminations en Seine-Saint-Denis 2022
Afin de lutter au mieux contre les discriminations, il faut en développer une solide connaissance empirique. Pour ce faire, il existe différentes approches méthodologiques qui permettent d’observer, d’identifier et d’objectiver le fait discriminatoire.
L’approche indirecte (statistiques) met en lumière les inégalités entre plusieurs populations dans l’accès aux biens et aux ressources ainsi que les composants structurels des différences constatées. De son côté, l’approche expérimentale (testing) se propose de détecter directement l’existence d’une discrimination en fixant les variables explicatives ex ante. Enfin, l’approche subjective permet quant à elle de mesurer la discrimination ressentie. La déclaration de l’expérience et du sentiment discriminatoires vient ainsi compléter les deux premières méthodes car l’intériorisation des inégalités et des discriminations peut conduire à une anticipation des phénomènes discriminatoires qui ne pourrait pas être détectée dans les données objectives.
C’est sur cette dernière approche que s’appuie le baromètre des discriminations en Seine Saint Denis, commandé chaque année depuis 2019 par le Département à l’Institut Harris (excepté pour l’année 2020). Les résultats présentés ici sont issus d’une enquête téléphonique réalisée du 28 juin au 11 juillet 2022 auprès d’un échantillon de 1002 personnes, représentatif des habitant·e·s de la Seine-Saint-Denis âgé·e·s de 18 ans et plus.
Quelle perception des discriminations en Seine-Saint-Denis ?
Partie 1 : La représentation des discriminations en Seine-Saint-Denis
Il apparait que le sujet des discriminations constitue un sujet d’inquiétude pour près de 2 habitant·e·s sur 3, qui s’avèrent ainsi légèrement plus concerné·e·s qu’auparavant, avec une augmentation de 6 points par rapport à l’année précédente. De manière générale, ce sont les femmes qui se montrent les plus inquiètes, tandis que les parents d’enfants mineur·e·s se révèlent particulièrement préoccupé·e·s par le sort de leurs proches et de leurs enfants.
Le sentiment que les discriminations ont effectivement augmenté est également en hausse de 5 points depuis 2019, notamment chez les femmes (53%), les personnes issues de classe populaire (54%) et les parents d’enfants scolarisé·e·s à l’école primaire (61%). Les critères de discrimination identifiés par les habitant·e·s demeurent toutefois similaires à ceux des années passées, puisque pour plus de 80% des répondant·e·s —parmi lesquel·les cette fois une majorité de « jeunes » et de CSP +(1) — il s’agit de :
- L’origine/couleur de peau (pour 95% des 18-24 ans)
- Le quartier d’habitation
- L’appartenance religieuse (pour 90% des – de 40 ans)
- L’orientation sexuelle (nouveau critère par rapport aux années précédentes, pour 96% des 18-24 ans)
L’âge, la grossesse et le congé maternité semblent moins envisagés comme des facteurs discriminants comparativement à l’année précédente.
Tout comme en 2021, ces discriminations sont identifiées plus particulièrement dans les domaines de l’emploi, du logement et de la police/justice par plus de 90% des jeunes et des CSP+ (1). L’éducation et l’administration/services publics se trouvent toutefois aussi nommés.
Partie 2 : L’expérience des discriminations en Seine-Saint-Denis
Les représentations évoquées précédemment autour du fait discriminatoire semblent s’incarner dans les expériences déclarées puisque plus d’un tiers des habitant·e·s déclarent avoir été victimes de discriminations en raison notamment de l’origine/couleur de peau (11% dont 40% d’hommes de – de 40 ans) et du quartier d’habitation (12%). Que cela s’explique par une sensibilité accrue à la question ou par une augmentation effective des discriminations, ce ressenti apparait en hausse au cours de ces dernières années, en particulier concernant le critère du quartier d’habitation (+ 4 points par rapport à 2021).
Dans l’ensemble, 2 habitant·e·s sur 3 estiment avoir été victimes de discrimination au cours de ces 5 dernières années, avec une hausse de 7 points depuis 2019. Parmi elle et eux, on compte 66% de femmes, 69% de répondant·e·s de moins de 40 ans, 67% de personnes issues de classe populaire et 73% de personnes homosexuelles. Pour plus de la moitié d’entre elles et eux, le domaine le plus impacté se trouve être celui de l’emploi (surtout pour les hommes et les jeunes issu·e·s de classe populaire). Arrivent ensuite le service public, la justice et le logement chez 34% des répondant·e·s.
On note ainsi une évolution stable des domaines évoqués les années précédentes, si ce n’est pour ce qui est de l’accès aux soins (+ 5points) et des transports (-16 points).
Il convient par ailleurs de souligner que ces discriminations sont vécues sur le territoire de la Seine-Saint-Denis mais qu’elles s’exportent également hors du Département, à Paris et sur toute la France.
Genre parentalité et discriminations
Au cours des 5 dernières années, sur la question du sentiment/vécu discriminatoire, les femmes se sentent globalement plus discriminées que les hommes, avec 66% de réponses positives chez les répondantes contre 59% chez les répondants. De plus, on observe une différenciation genrée des déclarations sur certaines thématiques : les femmes déclarent plus de discriminations sur les critères du sexe et de l’âge que les hommes, tandis qu’eux sont plus nombreux à se sentir discriminés sur les critères de l’origine/couleur de peau. En outre, si les hommes comme les femmes considèrent que les discriminations concernent les deux genres, beaucoup tendent toutefois à penser que les femmes sont plus sujettes aux discriminations.
La moitié des répondant·e·s parents d’enfants mineurs (qui sont 76% à montrer de l’inquiétude quant aux discriminations que leurs proches/enfants pourraient subir) abordent le sujet des discriminations avec leurs enfants, dans la majorité des cas afin d’expliquer cette notion, pour rebondir sur un fait d’actualité ou pour évoquer une expérience personnelle.
Soutien face aux discriminations
Si l’ensemble de l’enquête montre une perception de la présence des discriminations en hausse, outre le rôle que peuvent tenir les proches, le sentiment d’être soutenu face aux situations discriminatoires connait une baisse générale. Toutefois, 66% à 89% des répondant·e·s expriment leur confiance envers les acteurs de proximité (associations, écoles) et les pouvoirs publics (communes, Défenseures des Droits, Département.
(1) Si les travailleur·euses peu qualifiées ont objectivement plus de risques d’être discriminé·e·s, iels ne qualifient pas nécessairement leur expérience sous cet angle car l’expérience de la discrimination s’inscrit dans un socle d’inégalités sociales et économiques préexistant. A l’inverse, le fait d’occuper une position sociale relativement élevée exacerbe parfois le sentiment de discrimination.