Protection de l’enfanceLettre ouverte à Madame Charlotte CAUBEL, Secrétaire d’Etat chargée de l’Enfance
Madame la Ministre, Lors de son discours de clôture des dernières assises de l’Assemblée des Départements de France (ADF), Madame la Première Ministre a annoncé une mobilisation générale en faveur de l’enfance. Le 20 novembre prochain, date symbolique car journée internationale des droits de l’enfant, un comité interministériel dédié à l’enfance en danger doit se tenir. C’est aussi ce jour-là que la CIVIISE (Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux enfants) doit rendre son rapport final, résultat de 3 ans d’un travail de grande qualité absolument indispensable, et qui a mis en lumière la terrible réalité de l’ampleur des violences sexuelles faites en enfants en France.
Alors que les interpellations des acteurs et actrices de la protection de l’enfance se multiplient ces derniers mois, nous ne pouvons que nous réjouir que cette question essentielle soit mise sur le devant de la scène. Pour autant, et face aux enjeux grandissant, les réponses apportées se doivent d’être à la hauteur des besoins des territoires.
En Seine-Saint-Denis, ce sont plus de 9000 mineur·e·s et jeunes majeur·e·s qui sont pris·e·s en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance, confié·e·s ou accompagné·e·s. Ce sont des centaines de professionnel·le·s qui travaillent au quotidien pour soutenir, accompagner et aider à grandir ces enfants et jeunes aux parcours cabossés. C’est un budget de 316 millions par an qui y est consacré, en hausse continuelle depuis 2019, faisant de l’Aide Sociale à l’Enfance une priorité budgétaire pour la collectivité. Ce sont également des créations de places massives ces dernière sannées, dont 900 places dédiées à l’accueil des jeunes mineur·e·s non accompagné·e·s.
Cependant, et ce malgré un engagement fort des Départements, le secteur rencontre des difficultés sans précédent. Lieux d’accueil saturés, dégradation des conditions de travail, crise d’attractivité des métiers de la protection de l’enfance, fragilisent, voire embolisent, un système à bout de souffle, avec des conséquences majeures pour les enfants et leurs familles. Face à cette situation, les Départements s’engagent, augmentent leur budget, expérimentent. Mais, si la protection de l’enfance est une compétence départementale, elle ne peut être efficace qu’en complémentarité des politiques de droit commun, dont la responsabilité incombe à l’Etat, notamment en matière de santé, de handicap, de logement, d’insertion ou encore d’éducation.
Face à l’urgence de la situation, nous avons besoin d’une véritable impulsion nationale, qui ne fasse pas dans la demi-mesure et permette à l’enfance de sortir de la crise. Nous soutenons la démarche portée par le Conseil National de la Protection de l’Enfance (CNPE) et le Conseil National de l’Adoption (CNA) qui appellent de leurs vœux à un Plan Marshall de la protection de l’enfance. Pour contribuer aux réflexions en cours, nous avons rédigé un Livre blanc de la protection de
l’enfance qui propose 30 mesures concrètes, réalistes et qui peuvent être mises en place rapidement pour enrayer la crise.
Ces mesures sont diverses et s’attaquent à tous les pans de la crise. Tout d’abord, les problématiques de recrutement sont la pierre angulaire des difficultés rencontrées. Nous avons besoin d’un véritable choc d’attractivité pour revaloriser les professionnel·le·s, communiquer sur ces métiers essentiels, améliorer les conditions d’études et faciliter les reconversions. Notre second chantier concerne le manque de places criant en établissements,provoquant la saturation des lieux de placement existants et la dégradation des conditions d’accueil des enfants. Nous devons actionner l’ensemble des leviers pour faciliter et accélérer l’ouverture de nouvelles places. Notre Livre blanc aborde aussi les questions de santé des enfants confié·e·s et d’accès à une prise en charge adaptée, particulièrement difficile dans un contexte de désertification médicale galopante. Les enfants protégé·e·s souffrent davantage de troubles de santé, notamment en raison des maltraitances qu’ils et elles ont subies et nous avons besoin d’une offre de soins adaptée. Concernant la prise en charge du handicap, le nombre de solutions est largement insuffisant compte tenu des besoins. L’Aide Sociale à l’Enfance ne peut pas assurer un cadre socio-éducatif adapté à des enfants qui ont besoin en premier lieu d’une place en Institut Médico-Educatif. Nous avons besoin d’un large plan de rattrapage territorialisé en faveur du handicap de l’enfant.
En matière d’accès à l’autonomie, les jeunes qui sortent du dispositif de l’Aide Sociale à l’Enfance, lorsqu’ils et elles sont jeunes majeur·e·s, ont besoin d’un accès privilégié au droit commun. Nous ne pouvons pas décemment demander à des jeunes âgé·e·s de18 à 21 ans, de parvenir à accéder à un logement dans le parc locatif privé seul·e·s, lorsque l’on connait les difficultés d’accès au logement dans certains territoires, ou de réaliser de longues études sans soutien financier complémentaire. Nous avons besoin d’un engagement fort, dans la continuité des mesures prises par la loi de février 2022, en faveur de ces jeunes anciennement confié·e·s : soutien financier, accès facilité à des places en logement social ou foyers jeunes travailleurs, prise en charge de frais annexes pour les jeunes inscrit·e·s dans un parcours d’étude etc. Nous revendiquons par ailleurs la nécessité d’une égalité de traitement et de considération pour les jeunes mineur·e·s non accompagné·e·s qui doivent être pris·e·s en charge au titre de la protection de l’enfance, comme n’importe quel·le enfant qui en a besoin. Ces jeunes doivent ainsi pouvoir se voir délivrer de manière automatique un titre de séjour à leur majorité, permettant d’éviter des ruptures dans leurs parcours d’insertion, comme c’est encore trop souvent le cas.
Nous ne pouvons évoquer la protection de l’enfance, sans mentionner les politiques publiques de prévention. Alors que les violences urbaines qui se sont déroulées dans de nombreux territoires en juin dernier ont amené d’aucuns à blâmer un supposé déficit d’autorité parentale, nous pensons au contraire qu’il faut repenser la politique de prévention et de soutien à la parentalité. Nous sommes persuadé·e·s que devenir parent est un apprentissage, pour toutes et tous, et que c’est aussi le rôle des acteurs publics que de soutenir les familles. Nous portons ainsi d’importantes propositions pour développer massivement le soutien à la parentalité et la prévention spécialisée, mais aussi pour renforcer le rôle de la protection maternelle et infantile afin de lui permettre de jouer pleinement son rôle de prévention primaire.
La protection de l’enfance est l’affaire de toutes et tous. La situation actuelle n’est pas acceptable et il est urgent que nous nous en saisissions collectivement pour assurer à l’ensemble des enfants et des jeunes qui nous sont confié·e·s des conditions de vie dignes pour leur permettre de se construire et se reconstruire. Veuillez recevoir Madame La Ministre, l’expression de notre haute considération.
Stéphane TROUSSEL, Président du Département de Seine-Saint-Denis
Nadia AZOUG, Vice-présidente chargée de l’enfance, de la prévention et de la parentalité
Notre Livre Blanc est consultable ICI.