SDRIF-E - 14 février 2024Contribution de Stéphane Troussel, Président du Département de la Seine-Saint-Denis à l’enquête publique relative au projet de schéma directeur de la Région Ile-de-France – Environnemental (SDRIF-E)

A l’attention de Mesdames et Messieurs les commissaires enquêteurs,

Dans le cadre de cette enquête publique, je m’oppose au projet de SDRIF-E tel qu’il a été élaboré et soumis à la consultation, pour les raisons suivantes  :

Ce SDRIF-E ne permet pas de répondre aux besoins du territoire francilien alors que les enjeux sociaux, écologiques et territoriaux imposent de repenser le modèle de développement régional.

Les différentes crises et bouleversements socio-économiques des dernières années remettent en cause le modèle de développement hérité de l’ancien SDRIF et imposent de repenser l’aménagement du territoire. Ce projet de SDRIF-E se veut «  Environnemental  » mais il s’inscrit dans la continuité du précèdent SDRIF, sans prendre en compte les enjeux sociétaux et économiques apparus depuis, il ne permet pas de rompre avec un modèle de développement dépassé qui n’a fait qu’accroître les inégalités et n’a pas permis d’enclencher la résilience sociale et environnementale de l’Ile-de-France.

Ce projet de SDRIF-E se veut « Environnemental » mais il s’inscrit en réalité dans la continuité du précédent schéma directeur et il n’est pas à la hauteur des enjeux sociétaux et écologiques dont l’importance ne fera que s’accentuer à l’horizon 2040. Le paradigme selon lequel le développement économique est la matrice de toutes les politiques publiques doit être repensé pour permettre au territoire francilien de faire face au dérèglement climatique et renforcer la résilience des territoires. Pour les années à venir, l’attractivité de l’Île-de-France ne doit pas être seulement ou prioritairement économique, elle doit également être environnementale et sociale.

Depuis 2013 le nombre de départs d’habitants est plus important que le nombre d’arrivées sur le territoire francilien. Ce constat pose évidemment la question de la qualité du cadre de vie et du modèle de développement que l’on souhaite pour l’Ile-de-France. Il est désormais nécessaire d’envisager le développement régional à travers l’amélioration du cadre de vie.

A titre d’exemple, le SDRIF-E pourrait ainsi se saisir plus sérieusement du devenir des grandes zones commerciales et repenser la place de la voiture dans ces espaces. Le nombre de centres commerciaux identifiés comme devant être requalifiés dans le SDRIF-E est sous-dimensionné, alors même que le modèle qu’ils représentent sera remis en cause à l’échéance du SDRIF-E, pour encourager les commerces de proximité.

Les réponses apportées par le SDRIF-E sur le logement ou l’artificialisation des sols témoignent de son incapacité à apporter une réponse satisfaisante aux enjeux du territoire francilien

D’abord sur la question du logement, le dispositif anti-ghetto est un écran de fumée pour ne pas traiter le problème de l’application de la loi SRU par les communes les plus riches. Sous un prétexte de mixité sociale, cette disposition empêcherait la construction d’un logement sur cinq par rapport à la période 2018-2022. La Préfecture de la Région Ile-de-France s’est particulièrement inquiétée de cette disposition en évaluant à 21% le nombre de logements ne pouvant être construits à cause de cette mesure.

Cette proposition est d’autant plus problématique qu’à l’inverse, en dehors de la volonté affichée de «  soutenir avec volontarisme  » le développement du logement social dans les communes n’atteignant pas les 25% de logements sociaux imposés par la loi SRU, aucune mesure contraignante n’est envisagée pour favoriser l’atteinte de cet objectif. Le sujet n’est donc pas tant ce qu’il se passe dans les communes qui respectent la loi SRU que le manque manifeste de volonté de faire respecter la loi par les communes carencées. L’Etat et la Région doivent prendre leurs responsabilités sur le sujet.

Par ailleurs, le SDRIF-E pourrait se saisir du lien entre la politique de logement et celle de l’hébergement d’urgence. Il pourrait porter un dispositif (type SRU de l’hébergement) qui permettrait de répartir l’offre d’hébergement d’urgence à l’échelle de toute l’Ile-de-France, offre qui est aujourd’hui, en grande partie concentrée à Paris et en Seine-Saint-Denis.

Les prescriptions environnementales proposées par le SDRIF-E sont insuffisantes pour placer la Région Ile-de-France sur le chemin de la transition écologique et de la résilience. Le SDRIF-E ne contient pas d’objectifs chiffrés de réduction des émissions de gaz à effet de serre ou sur l’amélioration de la qualité de l’air, alors que la prise en compte de ces données sera déterminante pour lutter efficacement contre les inégalités territoriales d’exposition des franciliens aux différentes pollutions (air, bruit...). Ce SDRIF-E, pour « Environnemental » qu’il devait être, manque cruellement d’ambition en la matière.

Enfin, la trajectoire proposée pour réduire l’artificialisation des sols n’est pas assez ambitieuse pour avoir un réel impact. Le SDRIF-E ne prévoit pas d’anticiper la trajectoire ZAN prévue par la loi qui est fixée à 2050. Il sera trop tard en 2050 pour introduire la compensation au regard du volume foncier qui sera consommé d’ici là. Le SDRIF-E pourrait prévoir de placer d’ores et déjà le territoire francilien dans une trajectoire de réduction de 50% de l’artificialisation nette pour les dix prochaines années, et non de 20% comme actuellement, et d’enclencher les dispositifs de compensation au plus tôt. C’est d’ailleurs le souhait exprimé par l’autorité environnementale dans son avis rendu le 21 décembre. L’autorité environnementale considère que « la trajectoire proposée de réduction de l’artificialisation de 20% par décennie ne semble pas permettre d’atteindre l’objectif de l’absence d’artificialisation nette en 2050 ». L’avis appelle à « reconsidérer la trajectoire de réduction de la consommation d’espace » fixée par le SDRIF-E pour ne pas reporter l’effort à mener.

Ce SDRIF-E abandonne toute volonté de réduction des inégalités en Ile-de-France en considérant le rééquilibrage territorial entre l’Est et l’Ouest de la Région réalisé.

Au prétexte d’un développement régional basé sur le polycentrisme, ce SDRIF-E abandonne totalement la volonté de rééquilibrage Est / Ouest et l’objectif de réduire les inégalités existantes sur le territoire francilien. Or, cette analyse est très éloignée de la réalité. En Seine-Saint-Denis par exemple, le taux de pauvreté est toujours le double de celui de la moyenne régionale (28,6% contre 15,6%) et le taux de chômage n’a pas fléchi depuis 20 ans et atteint encore 11%.

L’égalité entre les territoires franciliens apparait seulement sous le prisme de l’indicateur emploi/habitant.e.s et le SDRIF-E omet totalement les autres indicateurs sociaux et économiques extrêmement révélateurs des inégalités territoriales qui persistent et se creusent à toutes les échelles (inter comme intra départementale). Contrairement à ce que suggère l’avant-propos de la Présidente de la Région Ile-de-France selon lequel le « rééquilibrage à l’Est, priorité des dernières années, est désormais une réalité », les fractures et les inégalités entre ces territoires demeurent et sont loin de s’atténuer. Le SDRIF-E devrait s’y attaquer durablement.

La méthode d’élaboration de ce SDRIF-E ne permet pas d’aboutir à un document partagé avec les différentes parties prenantes et nuit à sa portée normative.

Depuis le lancement de la procédure de révision du SDRIF-E en 2021, la méthode mise en œuvre par la Région Île-de-France n’a pas permis de bâtir un schéma partagé à l’échelle régionale.

La concertation des territoires a été conduite à marche forcée et l’exécutif régional s’est contenté du strict minimum pour associer les collectivités territoriales (communes, EPT, départements) qui sont pourtant concernés par ce SDRIF-E au premier chef. Seulement quatre échéances ont émaillé le dispositif de concertation des territoires entre le lancement du processus de révision du SDRIF-E en novembre 2021 et l’approbation du projet en juillet 2023 : un questionnaire préalable à la rédaction de l’avant-projet, l’organisation d’une visio-conférence en octobre 2022, l’organisation d’une réunion publique en novembre 2022 et une présentation de la « V0 » du projet de SDRIF-E en avril.

La même logique est à l’œuvre s’agissant de la consultation des habitantes et habitants, ou du secteur associatif puisque l’enquête publique qui s’est ouverte le 1er février s’achèvera le 16 mars. Soit à peine un mois et demi pour que ceux qui le souhaitent s’approprient ce projet et formulent des observations sur ce schéma qui couvre une grande diversité de thématiques et qui déterminera les modalités d’aménagement du territoire pour 12 millions de franciliens d’ici à 2040. Ici encore, nous avons l’illustration que l’association ou la consultation des différentes parties prenantes est loin d’être une préoccupation pour l’exécutif régional.

Par ailleurs, si le SDRIF-E est définitivement voté et approuvé par le Conseil d’Etat cet été il sera mis en œuvre alors que les SCOT et PLU-I qui doivent s’y conformer ont été adoptés en amont dans les différents territoires. Cette révision concomitante de plusieurs documents d’urbanisme n’a pas permis de développer un volet opposable véritablement contraignant. Pour éviter les trop nombreuses révisions des SCOT et PLU-I le caractère coercitif du SDRIF-E n’est pas assez développé et il perd donc une grande partie de sa portée planificatrice.

Enfin, adoptée après le projet de SDRIF-E, la loi dite « ZAN 2 » du 20 juillet 2023 prévoit de sortir du périmètre de comptabilisation de l’artificialisation les projets qui sont portés par l’Etat. Ces dispositions vont donc s’imposer au SDRIF-E, remettant en débat la légalité des dispositions contenues dans ce projet sur la question de l’artificialisation des sols.

En définitive, l’exécutif régional est passé à côté de l’opportunité d’établir un schéma partagé par les différents échelons locaux et associant comme il se doit la population francilienne. L’isolement de la Région dans la préparation de ce SDRIF-E se traduira donc par l’adoption d’un schéma à l’image de sa vision du territoire francilien avec la mise en œuvre des recettes du passé derrière le vernis du polycentrisme, de l’innovation et des transitions. Ce SDRIF-E sera caduc avant même le premier jour de sa mise en œuvre et ne permettra pas de répondre aux enjeux sociaux, écologiques et territoriaux du territoire francilien qui imposent pourtant de repenser notre modèle de développement territorial. L’ensemble de ces considérations conduisent donc à émettre un avis défavorable au projet de SDRIF-E soumis à enquête publique.


Les plus

Sur le même sujet

  • {{reponse._source.titre}}

    {{reponse._source.chapo}}

    index =  {{reponse._index}}
    id =  {{reponse._id}}
    date_redaction = {{reponse._source.date_redaction}}
    score = {{reponse._score}}
    boost = {{reponse._source.boost}}
    name = {{reponse.matched_queries}}
    type_objet ={{reponse._source.type_objet}}
                    

Dans le magazine

              {{numReponses_meme_sujet_mag}}
              {{reponses_meme_sujet_mag}}
            
  • {{reponse._source.titre}}

    {{reponse._source.chapo}}

    index =  {{reponse._index}}
    id =  {{reponse._id}}
    date_redaction = {{reponse._source.date_redaction}}
    score = {{reponse._score}}
    boost = {{reponse._source.boost}}
    name = {{reponse.matched_queries}}
    type_objet ={{reponse._source.type_objet}}
                    
picto plus orange