Le jour de colère de Patricia Kopatchinskaja

Le jour de colère de Patricia Kopatchinskaja
Festival de Saint-Denis
  • Dans le cadre du Festival de Saint-Denis, la violoniste virtuose Patricia Kopatchinskaja jouera son spectacle "Dies Irae – Combien de temps nous reste-t-il ?"
  • Une première en France, le 22 juin avec le chœur et l’orchestre philharmonique de Radio-France dans la basilique de Saint-Denis..
  • Patricia Kopatchinskaja a en exclusivité répondu à nos questions sur son saisissant "Jour de colère."

Dies Irae ou jour de colère dans la liturgie chrétienne évoque la colère de Dieu lors du Jugement dernier, mais aussi celle de Patricia Kopatchinskaja et de bon nombre d’entre nous au regard de la catastrophe écologique qui menace. La violoniste d’origine moldave a créé et mis en scène ce spectacle musical avec un choix d’œuvres allant de Franz Biber, virtuose du violon et compositeur du 17ème siècle, John Dowland, Antonio Lotti à Jimi Hendrix et aux Black Angels de Georges Crumb, compositeur américain du 20ème siècle. Musique ancienne, musique d’aujourd’hui, jouée sur instruments anciens ou modernes parfois électrifiés, le spectacle est total puisque les musiciens s’empareront de tout l’espace de la Basilique. Présenté à la COP26 de Glasgow, il a fait sensation car le pouvoir de la musique nous fait ressentir au plus profond de nous-mêmes l’urgence de la situation. Patricia Kopatchinskaja répond à nos questions.

– Qu’est-ce qui vous a guidée dans le choix et l’ordonnancement des œuvres très différentes présentées dans Dies Irae ?

Dies Irae est une réflexion musicale sur le changement climatique, dont le titre provient du plain-chant médiéval du « Jour de la colère » dans la messe des morts. Le programme a culminé avec la pièce de Galina Ustwolskaja, Dies Irae qui fit scandale dans les années 1970. Une œuvre singulière pour huit contrebasses et piano, plus une caisse en bois sur laquelle je frappe avec des marteaux …

Sur le chemin du Jugement dernier, la guerre éclate, et j’ai choisi Battalia de Heinrich Biber, 1673. Il ne s’agit pas d’une « gentille baroquerie » : dans la musique de Biber, il y a de la douleur et des dissonances, des chansons populaires composées dans un chaos, l’apocalypse imminente brille à travers chaque note dans ce contexte. Entrecoupant cette bataille, les mouvements des Black Angels de George Crumb, une réponse à la guerre du Vietnam, comme la musique d’un film d’horreur, tandis que la musique vocale du Crucifixus d’Antonio Lotti nous ouvre le ciel, pour nous apporter questions et lumière.

En plus de jouer des œuvres du 17e siècle aussi bien que du XXe, les musiciens ont également une part de jeu scénique. Comment leur avez-vous présenté ce que vous attendiez d’eux ?

Nous sous-estimons l’aspect visuel d’un concert de musique classique. Il y a tellement de potentiel là-dedans. Les gens nous regardent pendant des heures et nous essayons toujours de ne pas montrer nos émotions, ou ce que nous pensons ou ressentons en jouant. Je pense que c’est un grand malentendu sur la musique. Il s’agit toujours d’une expérience à part entière. Notre époque appelle tout le monde, y compris les musiciens, à émettre des signaux, des symboles, à réfléchir intensément et à donner plus de sens à leurs interprétations. La musique classique est plus qu’un plaisir esthétique. Lors du Dies Irae, vous verrez sur scène la boîte en bois qui ressemble à un cercueil. Un terrible symbole de malheur. Quand j’étais petite, j’ai assisté à plusieurs enterrements en Moldavie. La brutalité des coups de marteau me rappelle le martèlement pour clore le cercueil. J’y vois une menace pour notre existence sur notre planète épuisée.

Et à la fin du concert, quels sentiments espérerez-vous avoir provoqué chez les spectateurs ?

C’est un morceau de musique visuelle, une sorte de rêve que l’on ne peut pas vraiment analyser. Les sept trombones qui résonnent tels des sirènes et, le plus poignant, dans le final, un « tic-tac » dans l’obscurité grandissante, un compte à rebours des derniers temps de l’humanité sur Terre.

C’est bizarre et horrifiant, surréaliste. Je n’attends rien de plus ou de moins du public, qu’il n’oublie pas cette soirée et qu’il ait peut-être de nouvelles idées sur la nature limitée des ressources de notre petite terre et sur l’urgence de notre situation.

Photos : Lukas Fierz et Priska Ketterer

 

55e édition du Festival de Saint-Denis, du 2 au 27 juin 2023

Soutenu par le Département de Seine-Saint-Denis, le Festival présente cette année encore une grande diversité de propositions artistiques pour que chacun puisse vivre des émotions uniques dans la Basilique cathédrale Saint-Denis ou à la Maison d’éducation de la Légion d’honneur, lieux exceptionnels de notre patrimoine.

Des chefs d’orchestre venant de différentes traditions, du letton Andris Nelsons au français Julien Chauvin en passant par l’argentin Leonardo García Alarcón et la franco-irlandaise Fiona Monbet, des chanteurs de toutes les générations et horizons, de la jeune Julie Roset à Sir Bryn Terfel en passant par Lea Desandre, Jeanine De Bique ou encore Gregory Porter et Benjamin Appl, sont invités pour cette édition 2023.
Les œuvres les plus classiques comme la célèbre 5ème symphonie de Beethoven ou la Création de Haydn y côtoient dans la Basilique un hommage à Nat King Cole et un Beethoven plus secret, celui des chansons populaires du monde celtique.
Et à la Légion d’honneur, la part belle faite aux compositrices dans les programmes du Trio Sōra et de Marie-Laure Garnier rend un bel hommage à des talents trop longtemps négligés.

Renseignements, billetterie : Festival de Saint-Denis

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